Traité d’Aix-la-Chapelle : deux ex qui peinent à retrouver le lit conjugal

Signature du traité à Aix-la-Chapelle le mardi 22 janvier 2019, Martin Meissner/ AP
Signature du traité à Aix-la-Chapelle le mardi 22 janvier 2019, Martin Meissner/ AP

 Le traité d'Aix-La-Chapelle marque la volonté de relancer, et ainsi réaffirmer la coopération entre la France et l'Allemagne. Il a fait l’objet de nombreuses « fake news », véhiculées dans un climat particulièrement populiste à l’approche des élections européennes du 26 Mai prochain.

 

Le 22 janvier dernier, Emmanuel Macron et Angela Merkel ont signé le traité d'Aix-La-Chapelle dans la ville éponyme en Allemagne. Cet accord marque la volonté de la part des deux pays de relancer, et de ce fait de réaffirmer la coopération entre eux.

Cette coopération s'établit alors que le climat international voit apparaître des populismes de plus en plus puissants. Le traité vise tout d'abord à mener une politique commune sur la scène internationale. C'est pourquoi il prévoit par exemple que la France et l'Allemagne co-présideront au Conseil de Sécurité des Nations Unies cette année. Leur coopération au sein de l'Union Européenne se veut aussi renforcée. Certains domaines apparaissent comme la priorité de cet accord. Il vise par exemple à faciliter la mobilité entre les deux pays, à affirmer une culture commune européenne, à s'allier pour la recherche et l'innovation, ou encore à s'assurer de l'avenir de leurs sociétés.

 

Un traité qui s'inscrit dans une continuité historique

 

Le traité d'Aix-La-Chapelle n'est pas une innovation dans la politique franco-allemande. Il s'inscrit même dans la continuité d'un précédent, signé à l’Élysée entre Charles de Gaulle et Konrad Adenauer le 22 janvier 1963. Matérialisation de l'amitié franco-allemande d'après-guerre, ce traité était le début d'une longue coopération. Les politiques des deux pays étaient vouées à converger en matière de défense, d'économie, et d'affaires étrangères.

Plus qu'un simple traité, cet accord est devenu le point de départ du « couple » franco-allemand, également le ciment de la construction européenne. Depuis De Gaulle et Adenauer (1958-1963), les binômes dirigeants se sont succédé. L'amitié Willy Brandt/Georges Pompidou (1969-1974) se solde par quelques discordes, mais maintient une forte coopération culturelle. Le couple se renforce d'autant plus avec leurs héritiers, Valéry Giscard d'Estaing et Helmut Schmidt (1974-1981), puis Helmut Kohl et François Mitterrand (1981-1995) qui partageaient la même vision de l'Europe. Ils ont donc donné l'impulsion qu'il fallait pour tendre vers une intégration européenne plus importante.

Le couple Jacques Chirac/Gerhard Schröder (1995-2005) a pris plus de temps à s'accorder, mais y arrive face aux enjeux internationaux. Malgré les efforts, la construction européenne stagne. Il en est de même pour Angela Merkel et Nicolas Sarkozy (2007-2012), bien que les rencontres entre les deux dirigeants foisonnent. L'arrivée de François Hollande distend les relations avec la chancelière allemande (2012-2017). Leurs politiques migratoires et culturelles ne vont pas de pair. Aujourd'hui, Merkel côtoie Emmanuel Macron en tant que dirigeants européens. Ce traité leur permet de replacer leur coopération dans un contexte européen affaibli et dont la construction se fait lentement.

 

Un traité cible des populistes à l’approche des Élections Européennes

 

Les Européennes 2019 sonnent comme un compte à rebours dont le terme se rapproche progressivement et diffuse une certaine ambiance de chaos notamment après l’annonce de ce nouveau traité d’Aix-la-Chapelle. L’Élection de celle que l’on surnomme pour le plus grand confort de tous « AKK » à la tête de la CDU et la crise des Gilets jaunes qui a traversé la France jusqu’à retentir outre-Rhin ont bouleversé les prévisions pour Mai 2019.

 

Dans ce contexte, et suivant un traité de Marrakech déjà cible de nombreuses contre-vérités, cette signature hautement symbolique a fait couler beaucoup d'encre, et certainement pas de la manière escomptée. En effet, ce traité signé « à la dérobée » serait une soumission de la France face à l'Allemagne, qui abandonnerait ainsi son siège permanent au Conseil de sécurité des Nations Unies et vendrait son territoire « à la découpe » en rendant l'Alsace-Moselle. C'est du moins ce qu'affirment certaines femmes et hommes politiques français, dits « populistes », alimentant la défiance vis-à-vis d'un président déjà bien fragilisé. S'il s'agit ici de fake-news, elles ont indigné bien des politologues pour qui ces allégations ne sont que pur fantasme.

Il convient de souligner que ce texte, même s'il n'était pas au cœur des sujets traités par les médias, avait été annoncé par le président Macron. Dès le 26 septembre 2017 lors de son discours à la Sorbonne, il affirmait sa volonté d'un nouveau traité de l’Élysée, déjà promesse – non tenue – de François Hollande lors de sa campagne présidentielle. Même si un manque de transparence vis-à-vis de son contenu a pu être un temps déploré (ce que souligne notamment l'historienne Hélène Miard-Delacroix, interrogée par Libération), on est tout de même loin d'un accord qui aurait été volontairement caché aux Français. Mais ce qui est surtout mis en avant par les principaux détracteurs est la perte de souveraineté de la France. Notons d'abord la supposée vente ou du moins « mise sous tutelle » de l'Alsace et la Moselle (la Lorraine entière n'ayant jamais été cédée) à l'Allemagne, régions perdues par la France lors de la guerre franco-prussienne de 1871 et dont elle porte le deuil jusqu'à la fin de la Grande Guerre.

 

« Pourquoi l'Allemagne ne céderait-elle pas la Sarre et le Bade-Wurtemberg en retour ? » - Hans Stark

 

Cette fake news a été notamment relayée par le député européen Debout la France, Bernard Monot, dans une vidéo YouTube publiée le 11 janvier – mais supprimée par la suite – avant d'être reprise par Nicolas Dupont Aignan ou encore Marine Le Pen. Si les régions transfrontalières sont évoquées, il n'est aucunement question de céder une partie du territoire français. La législation du Bundestag ne s'y imposera pas, ni même l'allemand, son étude étant seulement encouragée Cette question est d'ailleurs raillée par Hans Stark, Secrétaire général du Comité d’études des relations franco-allemandes de l’IFRI : pourquoi l'Allemagne ne céderait-elle pas la Sarre et le Bade-Wurtemberg en retour ?

La question de l'ONU est certes soulevée dans les articles 5 et 8, mais il n'est en aucun cas stipulé que la France cédera son siège permanent, et donc son droit de veto, à l'Allemagne. Elle avait d'ailleurs refusé la proposition en novembre dernier d'Olaf Sholz, vice-chancelier et ministre des Finances allemand, consistant à rendre le siège français européen. Il est vrai en revanche que la France engagée comme le rappelle Hans Stark lors d’une interview accordée à la Deutsche Welle, « à soutenir la quête allemande d’un siège permanent au sein des Nations Unies » ce qui permettrait de renforcer le rayonnement du couple à l’international. La confusion a néanmoins été réalimentée début février, à l'annonce de la co-présidence française et allemande du Conseil de sécurité en mars et avril prochain, ce qui est une première. Or, il ne s'agit en aucun cas d'une perte de souveraineté française : l'Allemagne n'est que membre non-permanent pour 2019-2020. Elle doit donc, comme chaque pays présent dans ce conseil, le présider durant un mois. Le mois en question est choisi selon l'ordre alphabétique (en anglais) des pays et le hasard a voulu que le couple se suive dans la liste établie : est alors prise cette décision de co-présidence, afin de poursuivre un programme commun qui permet de renforcer le rayonnement du couple à l’international.

 

Si cet accord a été signé entre deux États, qu’en est-il de la réception auprès de la population ?

 

En effet, au regard des flux mensongers de fake news dilués dans l’actualité, l’opinion publique a été rudement touchée, faisant ressortir les angoisses les plus profondes de perte de souveraineté. Si l’Allemagne quant à elle, a été épargnée par ces rumeurs insidieuses, elle a tout de même assisté au discours populiste affirmant que la France ouvrirait la main pour que l’Allemagne paye davantage dans ce projet de coopération. Ainsi, la peur de l’autre côté de la frontière est définitivement axée sur les problèmes économiques tandis que l’hexagone « gaulois », lui, craint une perte de sa souveraineté.

 

Cette vague de fake news qui a accompagné l’annonce du traité (à l’instar de celle autour du Pacte de Marrakech) a occulté sa réelle composition et les véritables objectifs d'Emmanuel Macron et d'Angela Merkel, soucieux de relancer le moteur franco-allemand qui peine à redémarrer, faute de moyens communs. L’harmonisation des politiques économiques, une potentielle coopération transfrontalière et notamment une coopération dans la politique de défense permettraient de lancer une dynamique d’harmonisation européenne.

 

Or, ces projets restent assez utopiques car il est de plus en plus difficile de coopérer pour la France et l’Allemagne. La rupture sur la trajectoire économique est, en effet, visible. L’Allemagne est confrontée à un faible taux de natalité face à une France qui connaît de gros problèmes économiques. La relation dans ce couple est assez asymétrique au regard des moyens diplomatiques, mais l’Allemagne est également freinée par son rejet de l’arme nucléaire, inscrit dans sa ligne politique, qui lui permettrait pourtant d’avancer avec son voisin sur les questions de défense.

 

Le « Merkron » signe-t-il l’essoufflement d’un « moteur franco-allemand qui après 56 ans de coopération, peine à se dynamiser » ?

L’amitié franco-allemande, pensée dans une logique de réconciliation, n’est-elle pas aujourd’hui arrivée à terme afin de faire place à une logique davantage concurrentielle ?

Des questions auxquelles a répondu Hans Stark lors d’une interview le lundi 18 février à l’Institut Français des Relations Internationales.

 

Apolline Le Romanser, Laura Beaudoin, Margaux Dubrulle